Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/72

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En 1830, quelques jours avant la révolution de Juillet, la duchesse d’Angoulême passant à Besançon, je fus témoin du scandale que causa à nos vignerons, les Boussebots, Mgr le cardinal de Rohan, lorsqu’il reçut la princesse sous le porche de la cathédrale avec l’encens et le dais : il leur semblait qu’un tel honneur dût être réservé à Dieu. La Révolution, on le vit quelques semaines plus tard, infectait ces têtes-là !…

Qui n’a observé l’ordre des processions ? La plèbe en avant, par âges, sexes et corporations ; les ordres religieux ensuite ; puis le clergé, massé près du dais, entouré de la magistrature, des chefs de l’armée, comme de gardes du corps. Toujours la gradation des rangs et des castes. Pendant que la jeunesse de qualité, poudrée, frisée, revêtue d’aubes éblouissantes, ceinte de ceintures d’argent et d’or, porte devant le saint-sacrement les cassolettes où brûlent les parfums, de petits pauvres pris parmi les charbonniers et forgerons sont chargés de la braise et des pincettes. Je me souviens qu’un jour, pas un gamin ne voulant de la commission, je m’offris bravement avec un camarade pour remplir cet office, la procession ne pouvant pas plus se passer du réchaud que de l’ostensoir. Il me semblait qu’à l’exemple de je ne sais plus quel ancien à qui ses concitoyens avaient confié le curage des égoûts, j’allais illustrer ma charge. Tout le monde, les abbés comme les autres, se moqua de moi. À quoi pensais-je de m’imaginer que les chrétiens fussent égaux devant le saint-sacrement ? J’avais choisi d’être méprisé dans la maison du Seigneur, Elegi abjectus esse in domo Domini, et j’étais méprisé ; c’était justice.

La procession de la Fête-Dieu a fourni à Châteaubriant la plus belle de ses amplifications. Ce n’est pas sans une colère concentrée que j’ai lu, à vingt ans, les ouvrages de ce phraseur sans conscience, sans philosophie,