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De ce point de vue, qui est celui du libre arbitre ou de l’idéal, la Justice n’est plus seulement l’ordre impérieux de la sociabilité ; c’est l’objet principal, pivotal, de l’esthétique, auprès duquel les autres réalisations de l’idéal n’apparaissent que comme des créations secondaires, subordonnées à la Justice comme des moyens à leur fin.

En autres termes, l’homme, par son libre arbitre, est artiste, et le premier objet de son art est sa conscience ; toutes les manifestations de son idéal ont pour objet, en dernière analyse, sa justification : c’est pourquoi nous sommes tous, au fond du cœur, puritains et rigoristes. Mais autant l’indulgence pour soi-même inspire de mésestime autant l’hypocrisie de puritanisme révolte.

Pour réaliser la Justice, la première condition est d’en connaître la loi : car, ainsi que nous l’avons expliqué, si le libre arbitre dépasse la nécessité, il la suppose : point d’idéal, point d’art, point de sainteté par conséquent, en dehors de la raison des personnes et de la raison des choses.

Or, il s’en faut de beaucoup que la science aille du même pas que l’imagination ; que l’industrie, l’économie sociale, le droit, soient aussi prompts dans leur développement que la poésie et l’art. Diverses causes, qui en se compliquant, se multiplient à l’infini, retardent le progrès de la législation et de la jurisprudence : la barbarie primitive, la naïveté de l’entendement, l’inexpérience des rapports sociaux, les préjugés de religion, de pouvoir, de caste, de propriété, etc. ; puis, la tradition, la possession acquise ; puis le doute, la contradiction, la guerre. Il a fallu quatre mille ans pour découvrir le système du monde : le système de l’âme humaine n’est pas encore connu, et l’on s’en est occupé cent fois davantage.

Cependant la Liberté ne peut attendre : ce qu’elle ignore, elle le devine ou le supplée. L’homme est impatient de se posséder et de jouir de sa gloire ; il a besoin