Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/61

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de se savoir juste, héroïque, brave et beau ; il ne peut pas ajourner sa félicité à une révélation tardive, qui d’ailleurs ne lui importe que comme élément de son idéal. Le libre arbitre devance donc toujours et nécessairement la science : avec les données telles quelles dont il dispose, il produit son idéal, et cet idéal, plus ou moins conforme à la raison des choses, devient sa formule juridique : c’est pour lui le sujet, l’objet, le type, l’image, la condition, le principe, le gage, de la Justice.

Ayant ainsi réalisé l’absolu, la Liberté se repose dans la contemplation de son œuvre : elle est arrivée à son nec plus ultrà. Comme le Dieu de la Genèse, qui applaudit à chacune de ses journées, séparant ses créations, si j’ose ainsi dire, par un point admiratif ; comme la jeune fille qui se regarde dans son miroir, la Liberté se sourit dans l’idéal qu’elle crée ; elle se dit, après avoir fait : Bien ! et se croyant arrivée à son dernier labeur elle se couche dans sa gloire : Requievit ab opere quod patrârat.

Il n’y a pas un homme d’art ou d’industrie, pas un savant, pas un paysan, pas un homme d’action, pas une âme vertueuse, qui ne soupçonne ce que je veux dire. Toutes les fois que l’homme a accompli une tâche, terminé une expérience, exécuté un travail, prononcé un discours, frappé un coup, rempli un devoir, il se recueille, se juge, et, dans une rêverie plus ou moins prolongée, se repaît de son idée, parlons plus exactement, de son idéal.

Et qu’est-ce que cet idéal ? Une miniature de la liberté, une épreuve de l’absolu.

Là donc est le piége.

En vertu de son libre arbitre, l’âme cherche sa béatitude dans la Justice et l’idéal, qu’elle identifie : en quoi au fond elle ne se trompe pas. Mais, par suite de l’imperfection de ses notions, sa formule juridique est d’abord