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C’est lui qui détermine toutes les passions de l’homme, ses affaissements et ses enthousiasmes. Toute jouissance est accompagnée d’une délectation idéaliste ; toute satisfaction des sens, recherchée, obtenue, en dehors du besoin, est un effet de l’idéal. Dans tous les actes de sa vie, qu’il aime, qu’il admire, qu’il désire, qu’il espère, qu’il combatte, qu’il triomphe, qu’il regrette, qu’il jouisse, l’homme obéit à l’idéal. La religion s’emparant de cette catégories en personnifiant le principe, tantôt sous des noms divers, tantôt sous une dénomination unique, achève, par cette réalisation transcendante, de consacrer la prépondérance de l’idéal dans les actes de la raison pratique et du jugement.

Un peu de réflexion cependant nous démontrera dans quel piége nous entraîne cette adoration de l’idéal.

Logiquement et chronologiquement, l’idéal, de même que les concepts de substance, cause, temps, espace, naît en nous à la suite de l’aperception sensible. Son existence, comme celle de l’absolu, est toute métaphysique, conceptualiste, toujours et nécessairement consécutive à l’impression des phénomènes.

Que l’idéal donc nous serve de mètre intellectuel pour l’estimation de la qualité des choses, il est dans son rôle ; qu’il vienne comme moyen d’exciter la sensibilité, de passionner le cœur, d’aviver l’enthousiasme, à la bonne heure : l’erreur est de le prendre lui-même pour raison, principe et substance des choses, d’aspirer à sa possession comme d’une chose, ce qui est aussi absurde que de prétendre, à l’exemple de Deucalion et Pyrrha, fabriquer des hommes avec des statues, faire couver à une poule des œufs de sucre, planter un jardin de fleurs artificielles, ou semer dans une forêt des glands de chocolat.

Produit de la liberté, l’idéal, par sa nature, dépasse