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ÉVOLUTION HISTORIQUE

menton et tenant dans ses bras l’enfant Jésus. Il n’y a pas jusqu’à la figure du Christ, l’homme de toutes les tristesses et de toutes les amertumes, dont le corps, créé pour la souffrance, déformé par la torture, semblait un ver de terre, selon la parole d’Isaïe ; il n’y a pas, dis-je, jusqu’à cette sublime figure du Crucifié que les deux grands artistes de la Renaissance, Michel-Ange et Raphaël, n’aient profanée, en lui donnant un idéal renouvelé de Jupiter et d’Hercule. Et ce Christ est devenu typique : papes et jésuites l’ont adopté. Demandez aux femmes si elles ne sont pas toutes amoureuses de ce Christ, le plus beau des enfants des hommes, comme nous le sommes de sainte Marguerite, de sainte Catherine, de sainte Cécile et de toutes-les Madones. Ceci, pour le dire en passant, démontre une chose : c’est que les artistes de la Renaissance eussent été capables de refaire la besogne des Grecs, tant était grande, à la sortie du moyen âge, la lassitude de l’ascétisme ; tant les cœurs soupiraient à l’unisson après la beauté ; tant ils éprouvaient le besoin de la ressaisir, ange ou démon, ou du moins de se créer un autre idéal. Malheureusement leur besogne est restée pour nous inutile : ce Christ de fantaisie, si tard imaginé, pas plus que l'Ecce homo du moyen âge, ne peut nous servir. Nous ne sommes plus dévots, et nous ne pouvons être des pourceaux d’Épicure. Que nous peut faire, à nous autres hommes du dix-neuvième siècle,