Page:Proudhon - Idée générale de la Révolution au dix-neuvième siècle.djvu/130

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en sont venus à dire que le Gouvernement était un fléau sans doute, un châtiment pour l’humanité, mais que c’était un mal nécessaire !…

Voilà pourquoi, jusqu’à nos jours, les révolutions les plus émancipatrices et toutes les effervescences de la liberté, ont abouti constamment à un acte de foi et de soumission au pouvoir ; pourquoi toutes les révolutions n’ont servi qu’à reconstituer la tyrannie : je n’en excepte pas plus la Constitution de 93 que celle de 1848, les deux expressions les plus avancées, cependant, de la démocratie française.

Ce qui a entretenu cette prédisposition mentale et rendu la fascination pendant si longtemps invincible, c’est que, par suite de l’analogie supposée entre la Société et la famille, le Gouvernement s’est toujours présenté aux esprits comme l’organe naturel de la justice, le protecteur du faible, le conservateur de la paix. Par cette attribution de providence et de haute garantie, le Gouvernement s’enracinait dans les cœurs autant que dans les intelligences ; il faisait partie de l’âme universelle ; il était la foi, la superstition intime, invincible des citoyens. Qu’il lui arrivât de faiblir, on disait de lui, comme de la Religion et de la Propriété : Ce n’est pas l’institution qui est mauvaise, c’est l’abus. Ce n’est pas le roi qui est méchant, ce sont ses ministres. Ah ! si le roi savait !

Ainsi à la donnée hiérarchique et absolutiste d’une autorité gouvernante, s’ajoutait un idéal parlant à l’âme et conspirant incessamment contre l’instinct d’égalité et d’indépendance : tandis que le peuple, à chaque révolution, croyait réformer, suivant les inspirations de son cœur, les vices de son Gouvernement, il était trahi par ses idées mêmes ; en croyant mettre le Pouvoir dans ses intérêts, il l’avait toujours, en réalité, contre