Page:Proudhon - Idée générale de la Révolution au dix-neuvième siècle.djvu/316

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vient. Le Pouvoir est comme la servante du curé, il laisse l’âme au démon ; ce qu’il veut, c’est le corps. Pourvu qu’il ait la main dans nos bourses, il se moque de nos pensées. Ignominie ! Ne pouvons-nous administrer nos biens, régler nos comptes, transiger nos différends, pourvoir à nos intérêts communs, tout aussi bien, au moins, que nous pouvons veiller à notre salut et soigner nos âmes ? Qu’avons-nous affaire et de la législation de l’État, et de la justice de l’État, et de la police de l’État, et de l’administration de l’État, plus que de la religion de l’État ? Quelle raison, quel prétexte l’État fournit-il de cette exception à la liberté locale et individuelle ?

Dira-t-on que la contradiction n’est qu’apparente ; que l’autorité est en effet générale et n’exclut rien ; mais que, pour son plus parfait exercice, elle a dû se diviser en deux pouvoirs égaux et indépendants, l’un, l’Église, à qui est confiée la charge des âmes ; l’autre, l’État, à qui appartient le gouvernement des corps ?

À cela je réplique, d’abord, que la séparation de l’État et de l’Église n’a nullement été faite en vue de cette organisation meilleure, mais bien en suite de l’incompatibilité des intérêts qu’ils régissent ; en second lieu, que les résultats de cette séparation ont été on ne peut plus déplorables, attendu que l’Église, ayant perdu la direction du temporel, a fini par n’être plus écoutée même au spirituel ; tandis que l’État, affectant de ne se mêler que de questions matérielles et ne les résolvant que par la force, a perdu le respect et soulevé partout la réprobation des peuples. Et c’est précisément pour cela que l’État et l’Église, convaincus, mais trop tard, de leur indiscernabilité, essayent aujourd’hui, par une fusion impossible, de se relever,