Page:Proudhon - Idée générale de la Révolution au dix-neuvième siècle.djvu/348

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ces terres arc-boutées. Qui sait si, dans l’infinie variété des mondes, il n’y en a pas de cette espèce ? L’anneau de Saturne n’est pas moins extraordinaire.

Qu’on se figure l’existence de ce petit monde, où toutes les positions eussent été inverses des nôtres ! Longtemps cette humanité concentrique, à qui la distance dérobe la vue des parois de son habitation, pendant que la barbarie, la guerre et le défaut de communications retiennent ses diverses races dans leurs limites respectives, s’imaginera que l’espace qu’elle contemple en haut, par delà son soleil, est le séjour des dieux, tandis que le sol qu’elle foule aux pieds couvre la demeure des damnés, à une profondeur incommensurable. Quels systèmes l’imagination des poëtes fera là-dessus éclore ! Quelles cosmogonies, quelles révélations les mystagogues à leur tour devront enfanter, les prenant pour point de départ de la religion, de la morale et des lois !

Peu à peu cependant le progrès, de la civilisation, la conquête elle-même, vont amener dans ces régions infernales de vastes déplacements ; des voyages de circumnavigation s’exécutent ; la terre est parcourue dans tous les sens ; et l’on acquiert la certitude mathématique, expérimentale, que cet univers splendide, auquel l’imagination ne pouvait assigner de bornes, n’est qu’une planète concave, de quelques mille lieues de diamètre dans œuvre, et dont les habitants, opposés tête à tête, se regardent comme des perpendiculaires élevées de tous les points de la surface vers le centre. Ce dut être un scandale horrible parmi les docteurs des anciennes religions, à cette étrange nouvelle. Sans doute quelque Galilée paya de son sang la gloire d’avoir dit le premier que le monde était rond, et qu’il y avait des anticéphales.