Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/103

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tributions. L’ordre public et la sécurité des citoyens ne demandaient que la garantie des possessions ; pourquoi la loi a-t-elle créé des propriétés ? La prescription était comme une assurance de l’avenir ; pourquoi la loi en fait-elle un principe de privilége ?

Ainsi l’origine de la prescription est identique à celle de la propriété elle-même ; et puisque celle-ci n’a pu se légitimer que sous la condition formelle d’égalité, la prescription aussi est une des mille formes qu’a revêtues le besoin de conserver cette précieuse égalité. Et ceci n’est point une vaine induction, une conséquence tirée à perte de vue : la preuve en est écrite dans tous les codes.

En effet, si tous les peuples ont reconnu, par un instinct de justice et de conservation, l’utilité et la nécessité de la prescription, et si leur dessein a été de veiller par là aux intérêts du possesseur, pouvaient-ils ne rien faire pour le citoyen absent, jeté loin de sa famille et de sa patrie par le commerce, la guerre ou la captivité, hors d’état d’exercer aucun acte de possession ? Non. Aussi dans le temps même où la prescription s’introduisait dans les lois, on admettait que la propriété se conserve par la seule volonté, nudo animo. Or, si la propriété se conserve par la seule volonté, si elle ne peut se perdre que par le fait du propriétaire, comment la prescription peut-elle être utile ? comment la loi ose-t-elle présumer que le propriétaire, qui conserve par la seule intention, a eu l’intention d’abandonner ce qu’il a laissé prescrire, quel laps de temps peut autoriser une pareille conjecture ? et de quel droit la loi punirait-elle l’absence du propriétaire en le dépouillant de son bien ? Quoi donc ! nous avons trouvé tout à l’heure que la prescription et la propriété étaient choses identiques, et voilà que nous trouvons maintenant qu’elles sont choses qui s’entre-détruisent.

Grotius, qui sentait la difficulté, y répond d’une manière si singulière, qu’elle mérite d’être rapportée : Bene sperandum de hominibus, ac proptereà non putandum eos hoc esse animo ut, rei caducæ causâ, hominem alterum velint in perpetuo peccato versari, quod evi-