Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/105

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confirmation de notre doctrine : puisque, si l’égalité des conditions et l’association universelle ne se sont pas plus tôt réalisées, c’est que le génie des législateurs et le faux savoir des juges devaient, pendant un temps, faire obstacle au bon sens populaire : et que, tandis qu’un éclair de vérité illuminait les sociétés primitives, les premières spéculations des chefs ne pouvaient enfanter que ténèbres.

Après les premières conventions, après les ébauches de lois et de constitutions, qui furent l’expression des premiers besoins, la mission des hommes de loi devait être de réformer ce qui, dans la législation, était mauvais ; de compléter ce qui restait défectueux ; de concilier, par de meilleures définitions, ce qui paraissait contradictoire : au lieu de cela, ils se sont arrêtés au sens littéral des lois, se contentant du rôle servile de commentateurs et de scoliastes. Prenant pour axiomes de l’éternelle et indéfectible vérité les inspirations d’une raison nécessairement faible et fautive, entraînés par l’opinion générale, subjugués par la religion des textes, ils ont toujours posé en principe, à l’instar des théologiens, que cela est infailliblement vrai, qui est admis universellement, partout et toujours, quod ab omnibus, quod ubique, quod semper, comme si une croyance générale, mais spontanée, prouvait autre chose qu’une apparence générale. Ne nous y trompons point : l’opinion de tous les peuples peut servir à constater l’aperception d’un fait, le sentiment vague d’une loi ; elle ne peut rien nous apprendre ni sur le fait ni sur la loi. Le consentement du genre humain est une indication de la nature, et non pas, comme l’a dit Cicéron, une loi de la nature. Sous l’apparence reste cachée la vérité, que la foi peut croire, mais que la réflexion seule peut connaître. Tel a été le progrès constant de l’esprit humain en tout ce qui concerne les phénomènes physiques et les créations du génie : comment en serait-il autrement des faits de conscience et des règles de nos actions ?