Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/112

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demandait pourquoi la terre ne produit plus rien de la même manière : Parce qu’elle est vieille et qu’elle a perdu sa fécondité, répondit-il. Le travail, autrefois si fécond, serait-il pareillement devenu stérile ? Pourquoi le fermier n’acquiert-il plus, par le travail, cette terre que le travail acquit jadis au propriétaire. C’est, dit-on, qu’elle se trouve déjà appropriée. Ce n’est pas répondre. Un domaine est affermé 50 boisseaux par hectare ; le talent et le travail d’un fermier élèvent ce produit au double : ce surcroît est la création du fermier. Supposons que le maître, par une rare modération, n’aille pas jusqu’à s’emparer de ce produit en augmentant le fermage, et qu’il laisse le cultivateur jouir de ses œuvres, la justice n’est pas pour cela satisfaite. Le fermier, en améliorant le fonds, a créé une valeur nouvelle dans la propriété, donc il a droit à une portion de la propriété. Si le domaine valait primitivement 100,000 fr., et que, par les travaux du fermier, il ait acquis une valeur de 150,000 fr., le fermier, producteur de cette plus-value, est propriétaire légitime du tiers de ce domaine. M. Ch. Comte n’aurait pu s’inscrire en faux contre cette doctrine, car c’est lui qui a dit :

« Les hommes qui rendent la terre plus fertile ne sont pas moins utiles à leurs semblables que s’ils en créaient une nouvelle étendue. »

Pourquoi donc cette règle n’est-elle pas applicable à celui qui améliore, aussi bien qu’à celui qui défriche ? Par le travail du premier, la terre vaut 1 ; par le travail du second, elle vaut 2 ; de la part de l’un et de l’autre, il y a création de valeur égale : pourquoi n’accorderait-on pas à tous deux égalité de propriété ? À moins que l’on n’invoque de nouveau le droit de premier occupant, je défie qu’on oppose à cela rien de solide.

Mais, dira-t-on, quand on accorderait ce que vous demandez, on n’arriverait pas à une division beaucoup plus grande des propriétés. Les terres n’augmentent pas indéfiniment de valeur : après deux ou trois cultures, elles atteignent rapidement leur maximum de fécondité. Ce que l’art agronomique y ajoute, vient plutôt du progrès des