Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/185

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sommation littéraire de 34 millions d’hommes, et que le prix des livres ne soit accessible qu’au tiers des consommateurs, il est évident que ces 100,000 ouvriers produiront trois fois autant que les libraires peuvent vendre. Pour que la production des premiers ne dépasse jamais les besoins de la consommation, il faut, ou qu’ils chôment deux jours sur trois, ou qu’ils se relèvent par tiers chaque semaine, chaque mois ou chaque trimestre, c’est-à-dire que pendant les deux tiers de leur vie ils ne vivent pas. Mais l’industrie, sous l’influence propriétaire, ne procède pas avec cette régularité : il est de son essence de produire beaucoup en peu de temps, parce que plus la masse des produits est grande, plus l’exécution est rapide, plus aussi le prix de revient pour chaque exemplaire diminue. Au premier signe d’épuisement, les ateliers se remplissent, tout le monde se met à l’œuvre ; alors le commerce est prospère, et gouvernants et gouvernés s’applaudissent. Mais plus on déploie d’activité, plus on se prépare de fériation ; plus on rit, plus on pleurera. Sous le régime de propriété, les fleurs de l’industrie ne servent à tresser que des couronnes funéraires : l’ouvrier qui travaille creuse son tombeau.

Quand l’atelier chôme, l’intérêt du capital court : le maître producteur cherche donc naturellement à entretenir sa production en diminuant ses frais. Alors viennent les diminutions de salaires, l’introduction des machines, l’irruption des enfants et des femmes dans les métiers d’hommes, la dépréciation de la main-d’œuvre, la mauvaise fabrication. On produit encore, parce que l’abaissement des frais de production permet d’étendre la sphère du débit ; mais on ne produit pas longtemps, parce que la modicité du prix de revient étant basée sur la quantité et la célérité de la production, la puissance productive tend plus que jamais à dépasser la consommation. C’est quand la production s’arrête devant des travailleurs dont le salaire suffit à peine à la subsistance de la journée, que les conséquences du principe de propriété deviennent affreuses : là, point d’économie, point d’épargne, point de petit capital accumulé, qui puisse faire vivre un jour de plus. Aujourd’hui, l’atelier est fermé ;