Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/219

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diversité d’intelligence et nullement une diversité d’affections : car, si nous raisonnons nos relations avec nos semblables, nous raisonnons de même nos actions les plus triviales, le boire, le manger, le choix d’une femme, l’élection d’un domicile ; nous raisonnons sur toutes les choses de la terre et du ciel ; il n’est rien à quoi notre faculté de raisonnement ne s’applique. Or, de même que la connaissance que nous acquérons des phénomènes extérieurs n’influe pas sur leurs causes et sur leurs lois, tout de même la réflexion, en illuminant notre instinct, nous éclaire sur notre nature sensible, mais sans en altérer le caractère ; elle nous instruit de notre moralité, mais ne la change ni la modifie. Le mécontentement que nous ressentons de nous-mêmes après une faute, l’indignation qui nous saisit à la vue de l’injustice, l’idée du châtiment mérité et de la satisfaction due, sont des effets de réflexion, et non pas des effets immédiats de l’instinct et des passions affectives. L’intelligence, je ne dis pas exclusive, car les animaux ont aussi le sentiment d’avoir méfait, et s’irritent lorsqu’un des leurs est attaqué, mais l’intelligence infiniment supérieure que nous avons de nos devoirs sociaux, la conscience du bien et du mal, n’établit pas, relativement à la moralité, une différence essentielle entre l’homme et les bêtes.


§ 2. Du premier et du second degré de la sociabilité.


J’insiste sur le fait que je viens de signaler, et qui est l’un des plus importants de l’anthropologie.

L’attrait de sympathie qui nous provoque à la société est de sa nature aveugle, désordonné, toujours prêt à s’absorber dans l’impulsion du moment, sans égard pour des droits antérieurs, sans distinction de mérite ni de priorité. C’est le chien bâtard qui suit indifféremment tous ceux qui l’appellent ; c’est l’enfant à la mamelle qui prend tous les hommes pour des papas, et chaque femme pour sa nourrice ; c’est tout être vivant qui, privé de la société d’animaux de son espèce, s’attache à un compagnon de solitude. Ce caractère fondamental de l’instinct social rend insupportable et