Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/244

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vie future par une notion spontanée et que j’ose appeler instinctive ; et cette notion, il l’a exprimée tour à tour sous des formes monstrueuses, bizarres, élégantes, consolantes ou terribles ; tous ces cultes divers, dont la frivole impiété du dix-huitième siècle s’est moquée, sont les langues qu’a parlées le sentiment religieux ; l’homme s’expliquera un jour ce qu’est ce Dieu que cherche sa pensée, ce qu’il peut espérer de cet autre monde auquel son âme aspire.

Tout ce qu’il accomplit d’instinct, l’homme n’en fait aucun cas et le méprise ; ou, s’il l’admire, ce n’est pas comme sien, c’est comme ouvrage de la nature : de là l’oubli qui couvre les noms des premiers inventeurs : de là notre indifférence pour la religion, et le ridicule où sont tombées ses pratiques. L’homme n’estime que les produits de la réflexion et du raisonnement. Les œuvres les plus admirables de l’instinct ne sont à ses yeux que d’heureuses trouvailles ; il donne le nom de découvertes, j’ai presque dit de créations, aux œuvres de l’intelligence. C’est l’instinct qui produit les passions et l’enthousiasme ; c’est l’intelligence qui fait le crime et la vertu.

Pour développer son intelligence, l’homme profite non-seulement de ses propres observations, mais encore de celles des autres ; il tient registre des expériences, il conserve des annales ; en sorte qu’il y a progrès de l’intelligence et dans les personnes et dans l’espèce. Chez les animaux, il ne se fait aucune transmission de connaissances ; les souvenirs de chaque individu périssent avec lui.

Il serait donc insuffisant de dire que ce qui nous distingue des animaux, c’est la réflexion, si l’on n’entendait par là la tendance constante de notre instinct à devenir intelligence. Tant que l’homme est soumis à l’instinct, il n’a aucune conscience de ce qu’il fait ; il ne se tromperait jamais, et il n’y aurait pour lui ni erreur, ni mal, ni désordre, si, de même que les animaux, il n’avait que l’instinct pour moteur. Mais le Créateur nous a doués de réflexion, afin que notre instinct devînt intelligence ; et, comme cette réflexion et la connaissance qui en résulte ont des degrés, il arrive que dans les commencements notre instinct est contrarié