Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/56

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L’État se trouve aujourd’hui, au regard des rentiers, dans la même position où la ville de Calais, assiégée par Édouard III, était avec ses notables. L’Anglais vainqueur consentait à épargner les habitants, moyennant qu’on lui livrât les plus considérables de la bourgeoisie pour en faire à son plaisir. Eustache et quelques autres se dévouèrent ; ce fut beau de leur part, et nos ministres devraient proposer aux rentiers cet exemple. Mais la ville aurait-elle eu le droit de les livrer ? non assurément. Le droit à la sûreté est absolu ; la patrie ne peut en exiger le sacrifice de qui que ce soit. Le soldat mis en sentinelle à portée de l’ennemi ne fait point exception à ce principe ; là où un citoyen fait faction, la patrie est exposée avec lui : aujourd’hui le tour de l’un, demain le tour de l’autre ; quand le péril et le dévouement sont communs, la fuite, c’est le parricide. Nul n’a droit de se soustraire au danger, nul ne peut servir de bouc émissaire : la maxime de Caïphe, il est bon qu’un homme meure pour tout le peuple, est celle de la populace et des tyrans, les deux extrêmes de la dégradation sociale.

On dit que toute rente perpétuelle est essentiellement rachetable. Cette maxime de droit civil, appliquée à l’État, est bonne pour des gens qui veulent revenir à l’égalité naturelle des travaux et des biens ; mais du point de vue propriétaire, et dans la bouche des conversionnistes, c’est le langage des banqueroutiers. L’État n’est pas seulement emprunteur, il est assureur et gardien des propriétés, comme il offre la plus haute sécurité possible ; il donne lieu de compter sur la plus solide et la plus inviolable jouissance. Comment donc pourrait-il forcer la main à ses prêteurs, qui se sont fiés à lui, et leur parler ensuite d’ordre public et de garantie des propriétés ? L’État, dans une semblable opération, n’est pas un débiteur qui se libère ; c’est un entrepreneur par actions qui attire des actionnaires dans un guet-à-pens, et là, contre sa promesse authentique, les contraint de perdre 20, 30 ou 40 pour cent des intérêts de leurs capitaux.

Ce n’est pas tout. L’État, c’est aussi l’universalité des citoyens, réunis sous une loi commune par un acte de so-