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lice et le gouvernement, le travail, les échanges, les successions, etc., de manière que les moyens de travail restent toujours égaux et que chacun soit libre, et la société sera parfaite.

De tous les avocats de la propriété, M. Cousin est celui qui l’a fondée le plus avant. Il a soutenu, contre les économistes, que le travail ne peut donner un droit de propriété qu’autant qu’il est précédé de l’occupation ; et contre des légistes, que la loi civile peut bien déterminer et appliquer un droit naturel, mais qu’elle ne peut la créer. Il ne suffit pas de dire, en effet : « Le droit de propriété est démontré par cela seul que la propriété existe ; à cet égard la loi civile est purement déclaratoire ; » c’est avouer qu’on n’a rien à répondre à ceux qui contestent la légitimité du fait même. Tout droit doit se justifier ou par lui-même, ou par un droit qui lui soit antérieur : la propriété ne peut échapper à cette alternative. Voilà pourquoi M. Cousin lui a cherché une base dans ce qu’il appelle la sainteté de la personne humaine, et dans l’acte par lequel la volonté s’assimile une chose. « Une fois touchées par l’homme, dit un des disciples de M. Cousin, les choses reçoivent de lui un caractère qui les transforme et les humanise. » J’avoue pour ma part que je ne crois point à cette magie, et que je ne connais rien de moins saint que la volonté de l’homme : mais cette théorie, toute fragile qu’elle soit en psychologie aussi bien qu’en droit, n’en a pas moins un caractère plus philosophique et plus profond que les théories qui n’ont pour base que le travail ou l’autorité de la loi : or, on vient de voir à quoi la théorie dont nous parlons aboutit, à l’égalité, qu’elle implique dans tous ses termes.

Mais peut-être que la philosophie voit les choses de trop haut et n’est point assez pratique ; peut-être que du sommet élevé de la spéculation ; les hommes paraissent trop petits pour que le métaphysicien tienne compte de leurs différences ; peut-être enfin que l’égalité des conditions est un de ces aphorismes vrais dans leur sublime généralité, mais qu’il serait ridicule et même dangereux de vouloir appliquer rigoureusement dans le commun usage de la vie et dans les