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Ils ne prévoyaient pas… Mais qu’est-il besoin que j’insiste ? Les conséquences s’aperçoivent assez d’elles mêmes, et ce n’est pas le moment de faire une critique de tout le code.

L’histoire de la propriété, chez les nations anciennes, n’est donc plus pour nous qu’une affaire d’érudition et de curiosité. C’est une règle de jurisprudence que le fait ne produit pas le droit : or la propriété ne peut se soustraire à cette règle ; donc, la reconnaissance universelle du droit de propriété ne légitime pas le droit de propriété. L’homme s’est trompé sur la constitution des sociétés, sur la nature du droit, sur l’application

    mains au défaut d’enfants légitimes, ils ne purent aller jusqu’à se servir de ces mêmes cousins pour équilibrer les partages dans deux branches différentes, de manière à ce qu’on ne vît pas dans la même famille les extrêmes de la richesse et du dénuement. Exemple :

    Jacques laisse en mourant deux fils, Pierre et Jean, héritiers de sa fortune : le partage des biens de Jacques se fait entre eux par portions égales. Mais Pierre n’a qu’une fille, tandis que Jean son frère laisse six garçons ; il est clair que, pour être fidèle tout à la fois, et au principe d’égalité, et au principe d’hérédité, il faut que les enfants de Pierre et de Jean partagent en sept portions les deux patrimoines : car autrement un étranger peut épouser la fille de Pierre, et par cette alliance la moitié des biens de Jacques, l’aïeul, seront transportés dans une famille étrangère, ce qui est contre le principe d’hérédité ; de plus, les enfants de Jean seront pauvres à cause de leur nombre, tandis que leur cousine sera riche parce qu’elle est unique : ce qui est contre l’égalité. Qu’on étende cette application combinée de deux principes en apparence contraires, et l’on se convaincra que le droit de succession, contre lequel on s’est élevé de nos jours avec si peu d’intelligence, ne fait point obstacle au maintien de l’égalité.

    Sous quelque forme de gouvernement que nous vivions, il sera toujours vrai de dire que le mort saisit le vif, c’est-à-dire qu’il y aura toujours héritage et succession, quel que soit l’héritier reconnu. Mais les saint-simoniens voudraient que cet héritier fût désigné par le magistrat ; d’autres qu’il fût choisi par le défunt, ou présumé tel par la loi : l’essentiel est que le vœu de la nature soit satisfait, sauf la loi d’égalité. Aujourd’hui, le vrai modérateur des successions est le hasard ou le caprice ; or, en matière de législation, le hasard et le caprice ne peuvent être acceptés comme règle. C’est pour conjurer les perturbations infinies que le hasard traîne à sa suite, que la nature, après nous avoir fait égaux, nous suggère le principe d’hérédité, qui est comme la voix par laquelle la société nous demande notre suffrage sur celui de tous nos frères que nous jugeons le plus capable après nous d’accomplir notre tâche.