Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/16

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de l’Éternel, dit le psalmiste ; ajoutons : et leur témoignage le détrône.

En effet, à mesure que l’homme observe les phénomènes, il croit apercevoir, entre la nature et Dieu, des intermédiaires : ce sont des rapports de nombre, de figure et de succession ; des lois organiques, des évolutions, des analogies ; c’est un certain enchaînement dans lequel les manifestations se produisent ou s’appellent invariablement les unes les autres. Il observe même que dans le développement de cette société dont il fait partie, les volontés privées et les délibérations en commun entrent pour quelque chose ; et il se dit que le grand Esprit n’agit point sur le monde directement et par lui-même, ni arbitrairement et selon une volonté capricieuse ; mais médiatement, par des ressorts ou organes sensibles, et en vertu de règles. Et, remontant par la pensée la chaîne des effets et des causes, il place, tout à l’extrémité, comme à un balancier, Dieu.

Par delà tous les cieux, le dieu des cieux réside,


a dit un poëte. Ainsi, du premier bond de la théorie, l’Être Suprême est réduit à la fonction de force motrice, cheville ouvrière, clef de voûte, ou, si l’on me permet une comparaison encore plus triviale, de souverain constitutionnel, régnant, mais ne gouvernant pas, jurant d’obtempérer à la loi et nommant des ministres qui l’exécutent. Mais, sous l’impression du mirage qui le fascine, le théiste ne voit, dans ce système ridicule, qu’une preuve nouvelle de la sublimité de son idole, qui fait, selon lui, servir ses créatures d’instruments à sa puissance, et tourner à sa gloire la sagesse des humains.

Bientôt, non content de limiter l’empire de l’éternel, l’homme, par un respect de plus en plus déicide, demande à le partager.

Si je suis un esprit, un moi sensible et émettant des idées, continue le théiste, j’ai part aussi à l’existence absolue ; je suis libre, créateur, immortel, égal à Dieu. Cogito, ergo sum ; je pense, donc je suis immortel : voilà le corollaire, la traduction de l’Ego sum qui sum : la philosophie est d’accord