Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/18

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de l’infini, l’homme prétendra encore avoir agrandi l’idéal de son Dieu, en faisant, par une conversion logique, de celui qu’il avait jusque-là nommé créateur, un conservateur, un rédempteur. L’humanité ne dit pas encore : c’est moi qui suis Dieu ; une telle usurpation ferait horreur à sa piété ; elle dit : Dieu est en moi, Emmanuel, nobiscum Deus. Et, au moment où la philosophie avec orgueil, et la conscience universelle avec effroi, s’écriaient d’une voix unanime : les dieux s’en vont, excedere deos, une période de dix-huit siècles d’adoration fervente et de foi surhumaine était inaugurée.

Mais le terme fatal approche. Toute royauté qui se laisse circonscrire finira par la démagogie ; toute divinité qui se définit se résout en un pandémonium. La christolâtrie est le dernier terme de cette longue évolution de la pensée humaine. Les anges, les saints, les vierges, règnent au ciel avec Dieu, dit le catéchisme ; les démons et les réprouvés vivent aux enfers d’un supplice éternel. La société ultramondaine a sa gauche et sa droite : il est temps que l’équation s’achève, que cette hiérarchie mystique descende sur la terre, et se montre dans sa réalité.

Lorsque Milton représente la première femme se mirant dans une fontaine et tendant avec amour les bras vers sa propre image comme pour l’embrasser, il peint trait pour trait le genre humain. — Ce dieu que tu adores, ô homme ! Ce dieu que tu as fait bon, juste, tout-puissant, tout sage, immortel et saint, c’est toi-même : cet idéal de perfections est ton image, épurée au miroir ardent de ta conscience. Dieu, la nature et l’homme, sont le triple aspect de l’être un et identique ; l’homme, c’est Dieu même arrivant à la conscience de soi par mille évolutions ; en Jésus-Christ, l’homme s’est senti Dieu, et le christianisme est vraiment la religion de Dieu-homme. Il n’y a pas d’autre dieu que celui qui, dès l’origine, a dit : Moi ; il n’y a pas d’autre Dieu que Toi.

Telles sont les dernières conclusions de la philosophie, qui expire en dévoilant le mystère de la religion et le sien.