Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/67

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Au point de vue de l’économie politique, ces propositions sont irréfragables ; et Malthus, qui les a formulées avec une si alarmante précision, est à l’abri de tout reproche. Au point de vue des conditions de la science sociale, ces mêmes propositions sont radicalement fausses, et même contradictoires.

L’erreur de Malthus, ou pour mieux dire de l’économie politique, ne consiste point à dire qu’un homme qui n’a pas de quoi manger doit périr, ni à prétendre que sous le régime d’appropriation individuelle, celui qui n’a ni travail ni revenu n’a plus qu’à sortir de la vie par le suicide, s’il ne préfère s’en voir chassé par la famine : telle est, d’une part, la loi de notre existence ; telle est, de l’autre, la conséquence de la propriété ; et M. Rossi s’est donné beaucoup trop de peine pour justifier sur ce point le bon sens de Malthus. Je soupçonne, il est vrai, M. Rossi, faisant si longuement et avec tant d’amour l’apologie de Malthus, d’avoir voulu recommander l’économie politique de la même manière que son compatriote Machiavel, dans le livre du Prince, recommandait à l’admiration du monde le despotisme. En nous faisant voir la misère comme la condition sine quâ non de l’arbitraire industriel et commercial, M. Rossi semble nous crier : voilà votre droit, votre justice, votre économie politique ; voilà la propriété.

Mais la naïveté gauloise n’entend rien à ces finesses ; et mieux eût valu dire à la France, dans sa langue immaculée : L’erreur de Malthus, le vice radical de l’économie politique, consiste, en thèse générale, à affirmer comme état définitif une condition transitoire, savoir la distinction de la société en patriciat et prolétariat ; — spécialement, à dire que dans une société organisée, et par conséquent solidaire, il se peut que les uns possèdent, travaillent et consomment, tandis que les autres n’auraient ni possession, ni travail, ni pain. Enfin Malthus, ou l’économie politique, s’égare dans ses conclusions, lorsqu’il voit dans la faculté de reproduction indéfinie dont jouit l’espèce humaine, ni plus ni moins que toutes les espèces animales et végétales, une menace permanente de disette ; tandis qu’il fallait seulement en déduire la nécessité, et par conséquent l’existence d’une loi d’équilibre entre la population et la production.