Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/71

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ciens, les Grecs, les Italiens, travaillèrent autrefois comme nous faisons aujourd’hui : ils plaçaient leur argent, salariaient leurs ouvriers, étendaient leurs domaines, faisaient leurs expéditions et recouvrements, tenaient leurs livres, spéculaient, agiotaient, se ruinaient, selon toutes les règles de l’art économique, s’entendant non moins bien que nous à s’arroger des monopoles, et à rançonner le consommateur et l’ouvrier. De tout cela, les relations surabondent ; et quand nous repasserions éternellement nos statistiques et nos chiffres, nous n’aurions toujours devant les yeux que le chaos, le chaos immobile et uniforme.

On croit, il est vrai, qu’à partir des temps mythologiques jusqu’à la présente année 57 de notre grande révolution, le bien-être général s’est accru : le christianisme a longtemps passé pour la principale cause de cette amélioration, dont les économistes réclament actuellement tout l’honneur pour leurs principes. Car après tout, disent-ils, quelle a été l’influence du christianisme sur la société ? Profondément utopiste à sa naissance, il n’a pu se soutenir et s’étendre qu’en adoptant peu à peu toutes les catégories économiques, le travail, le capital, le fermage, l’usure, le trafic, la propriété, en un mot, en consacrant la loi romaine, expression la plus haute de l’économie politique.

Le christianisme, étranger, quant à sa partie théologique, aux théories sur la production et la consommation, a été pour la civilisation européenne ce qu’étaient naguère pour les ouvriers ambulants les sociétés de compagnonnage et la franc-maçonnerie, une espèce de contrat d’assurance et de secours mutuel ; sous ce rapport, il ne doit rien à l’économie politique, et le bien qu’il a fait ne peut être invoqué par elle en témoignage de certitude. Les effets de charité et de dévouement sont hors du domaine de l’économie, laquelle doit procurer le bonheur des sociétés par l’organisation du travail et par la justice. Pour le surplus, je suis prêt à reconnaître les effets heureux du mécanisme propriétaire ; mais j’observe que ces effets sont entièrement couverts par les misères qu’il est de la nature de ce mécanisme de produire : en sorte que, comme l’avouait naguère devant le parlement anglais un illustre ministre, et comme nous le démontre-