Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/196

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Dans la première édition de ses Études sur les réformateurs contemporains, M. Reybaud, ému du spectacle des douleurs sociales autant que du courage de ces fondateurs d’écoles, qui crurent, avec une explosion de sentimentalité, pouvoir réformer le monde, avait formellement exprimé l’opinion que ce qui surnageait de tous leurs systèmes était l’association. M. Dunoyer, l’un des juges de M. Reybaud, lui rendait ce témoignage, d’autant plus flatteur pour M. Reybaud que la forme en était légèrement ironique :

« M. Reybaud, qui a exposé avec tant de justesse et de talent, dans un livre que l’Académie Française a couronné, les vices des trois principaux systèmes réformistes, tient bon pour le principe qui leur est commun et qui leur sert de base, l’association. — L’association est à ses yeux, il le déclare, le plus grand problème des temps modernes. Elle est appelée, dit-il, à résoudre celui de la distribution des fruits du travail. Si, pour la solution de ce problème, l’autorité ne peut rien, l’association pourrait tout. M. Reybaud parle ici comme un écrivain du phalanstère… »

M. Reybaud s’était un peu avancé, comme on peut voir. Doué de trop de bon sens et de bonne foi pour ne pas apercevoir le précipice, bientôt il sentit qu’il se fourvoyait, et commença de rétrograder. Je ne lui fais point un crime de cette volte-face : M. Reybaud est un de ces hommes que l’on ne peut sans injustice rendre responsables de leurs métaphores. Il avait parlé avant de réfléchir, il se rétracta : quoi de plus naturel ! Si les socialistes devaient s’en prendre à quelqu’un, ce serait à M. Dunoyer, qui avait provoqué l’abjuration de M. Reybaud par ce singulier compliment.

M. Dunoyer ne tarda pas à s’apercevoir que ses paroles n’étaient point tombées dans des oreilles closes. Il raconte, à la gloire des bons principes, que « dans une seconde édition des Études sur les réformateurs, M. Reybaud a de lui-même tempéré ce que ses expressions pouvaient offrir d’absolu. Il a dit, au lieu de pourrait tout, pourrait beaucoup. »

C’était une modification importante, comme le faisait très-bien remarquer M. Dunoyer, mais qui permettait encore à M. Reybaud d’écrire dans le même temps : « Ces symptômes sont graves ; on peut les considérer comme les pronostics