Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/244

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le stimulant le plus fort de tous les progrès accomplis dès l’origine du monde, à telle enseigne que, comme nous le disions tout à l’heure, la société qui ne peut subsister avec lui, n’eût point été faite sans lui.

D’où vient donc au monopole cette vertu singulière, dont l’étymologie du mot et l’aspect vulgaire de la chose sont si loin de nous donner l’idée ?

Le monopole n’est au fond que l’autocratie de l’homme sur lui-même : c’est le droit dictatorial accordé par la nature à tout producteur d’user de ses facultés comme il lui plaît, de donner l’essor à sa pensée dans telle direction qu’il préfère, de spéculer, en telle spécialité qu’il lui plaît de choisir, de toute la puissance de ses moyens, de disposer souverainement des instruments qu’il s’est créés et des capitaux accumulés par son épargne pour telle entreprise dont il lui semble bon de courir les risques, et sous la condition expresse de jouir seul du fruit de la découverte et des bénéfices de l’aventure.

Ce droit est tellement de l’essence de la liberté, qu’à le dénier on mutile l’homme dans son corps, dans son âme et dans l’exercice de ses facultés, et que la société, qui ne progresse que par le libre essor des individus, venant à manquer d’explorateurs, se trouve arrêtée dans sa marche.

Il est temps de donner, par le témoignage des faits, un corps à toutes ces idées.

Je sais une commune, où de temps immémorial il n’existait point de chemins ni pour le défrichement des terres, ni pour les communications au dehors. Pendant les trois quarts de l’année, toute importation ou exportation de denrées était interdite ; une barrière de boue et de marécages protégeait à la fois contre toute invasion de l’extérieur et contre toute excursion des habitants la bourgade sacro-sainte. Six chevaux, par les beaux jours, suffisaient à peine à enlever la charge d’une rosse allant au pas sur une belle route. Le maire du lieu résolut, malgré le conseil, de faire passer un chemin sur son territoire. Longtemps il fut bafoué, maudit, exécré. On s’était bien jusqu’à lui passé de route : qu’avait-il besoin de dépenser l’argent de la commune, et de faire perdre leur temps aux laboureurs en prestations, charrois et