Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/388

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incomplètes ; il creuse le fossé sous nos pieds ; il nous fait aller en aveugles : et puis, à chaque chute, il nous punit en scélérats. Que dis-je ? il semble que ce soit malgré lui qu’à la fin, tout meurtris du voyage, nous reconnaissons notre route ; comme si c’était offenser sa gloire que de devenir, par les épreuves qu’il nous impose, plus intelligents et plus libres. Qu’avons-nous donc besoin de nous réclamer sans cesse de la Divinité, et que nous veulent ces satellites d’une Providence qui, depuis soixante siècles, à l’aide de mille religions, nous trompe et nous égare ?

Quoi ! Dieu, par ses porteurs de nouvelles et par la loi qu’il a mise en nos cœurs, nous ordonne d’aimer notre prochain comme nous-mêmes, de faire à autrui comme nous voulons qu’il nous soit fait, de rendre à chacun ce qui lui est dû, de ne pas frauder sur le salaire de l’ouvrier, de ne point prêter à usure ; il sait d’ailleurs qu’en nous la charité est tiède, la conscience vacillante, et que le moindre prétexte nous paraît toujours une raison suffisante de nous exempter de la loi : et c’est avec de semblables dispositions qu’il nous engage dans les contradictions du commerce et de la propriété, là où, par la fatalité des théories, doivent infailliblement périr la charité et la justice ! Au lieu d’éclairer notre raison sur la portée de principes qui s’imposent à elle avec tout l’empire de la nécessité, mais dont les conséquences, adoptées par l’égoïsme, sont mortelles à la fraternité humaine, il met cette raison abusée au service de notre passion ; il détruit en nous, par la séduction de l’esprit, l’équilibre de la conscience ; il justifie à nos propres yeux nos usurpations et notre avarice ; il rend inévitable, légitime, la séparation de l’homme d’avec son semblable ; il crée entre nous la division et la haine, en rendant l’égalité par le travail et par le droit impossible ; il nous fait croire que cette égalité, loi du monde, est injuste entre les hommes : et puis il nous proscrit en masse pour n’avoir su pratiquer ses incompréhensibles préceptes ! Certes, je crois avoir prouvé que l’abandon de la Providence ne nous justifie pas ; mais, quel que soit notre crime, nous ne sommes point coupables devant elle ; et s’il est un être qui avant nous et plus que nous ait mérité l’enfer, il faut bien que je le nomme, c’est Dieu.