Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 5.djvu/98

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si exactement un sujet persan que la persistance des traditions orientales ne suffit pas à l’expliquer. Le sculpteur a dû copier quelque coffret apporté par des navigateurs. » Et en effet il devait me montrer plus tard la photographie d’un chapiteau où je vis des dragons quasi chinois qui se dévoraient, mais à Balbec ce petit morceau de sculpture avait passé pour moi inaperçu dans l’ensemble du monument qui ne ressemblait pas à ce que m’avaient montré ces mots : « église presque persane ».

Les joies intellectuelles que je goûtais dans cet atelier ne m’empêchaient nullement de sentir, quoiqu’ils nous entourassent comme malgré nous, les tièdes glacis, la pénombre étincelante de la pièce, et au bout de la petite fenêtre encadrée de chèvrefeuilles, dans l’avenue toute rustique, la résistante sécheresse de la terre brûlée de soleil que voilait seulement la transparence de l’éloignement et de l’ombre des arbres. Peut-être l’inconscient bien-être que me causait ce jour d’été venait-il agrandir comme un affluent la joie que me causait la vue du « Port de Carquethuit ».

J’avais cru Elstir modeste, mais je compris que je m’étais trompé, en voyant son visage se nuancer de tristesse quand dans une phrase de remerciements je prononçai le mot de gloire. Ceux qui croient leurs œuvres durables — et c’était le cas pour Elstir — prennent l’habitude de les situer dans une époque où eux-mêmes ne seront plus que poussière. Et ainsi en les forçant à réfléchir au néant, l’idée de la gloire les attriste parce qu’elle est inséparable de l’idée de la mort. Je changeai de conversation pour dissiper ce nuage d’orgueilleuse mélancolie dont j’avais sans le vouloir chargé le front d’Elstir. « On m’avait conseillé, lui dis-je en pensant à la conversation que nous avions eue avec Legrandin à Combray et sur laquelle j’étais content d’avoir son avis, de ne pas aller en Bretagne, parce que c’était malsain pour un esprit déjà porté