Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 8.djvu/116

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de place qu’un hémistiche dans un alexandrin. Par exemple autrefois, quand M. de Guermantes, prince des Laumes, siégeait à la Chambre, on lisait quelquefois dans les journaux de Paris, bien que ce fût surtout destiné à la circonscription de Méséglise et afin de montrer aux électeurs qu’ils n’avaient pas porté leurs votes sur un mandataire inactif ou muet : « Monsieur de Guermantes-Bouillon, prince des Laumes : « Ceci est grave ! » Très bien ! au centre et sur quelques bancs à droite, vives exclamations à l’extrême gauche. »

Le lecteur de bon sens garde encore une lueur de fidélité au sage ministre, mais son cœur est ébranlé de nouveaux battements par les premiers mots du nouvel orateur qui répond au ministre :

« L’étonnement, la stupeur, ce n’est pas trop dire (vive sensation dans la partie droite de l’hémicycle), que m’ont causés les paroles de celui qui est encore, je suppose, membre du Gouvernement (tonnerre d’applaudissements)… Quelques députés s’empressent vers le banc des ministres ; M. le Sous-Secrétaire d’État aux Postes et Télégraphes fait de sa place avec la tête un signe affirmatif. » Ce « tonnerre d’applaudissements », emporte les dernières résistances du lecteur de bon sens, il trouve insultante pour la Chambre, monstrueuse, une façon de procéder qui en soi-même est insignifiante ; au besoin, quelque fait normal, par exemple : vouloir faire payer les riches plus que les pauvres, la lumière sur une iniquité, préférer la paix à la guerre, il le trouvera scandaleux et y verra une offense à certains principes auxquels il n’avait pas pensé en effet, qui ne sont pas inscrits dans le cœur de l’homme, mais qui émeuvent fortement à cause des acclamations qu’ils déchaînent et des compactes majorités qu’ils rassemblent.

Il faut d’ailleurs reconnaître que cette subtilité des hommes politiques, qui me servit à m’expliquer le milieu Guermantes et plus tard d’autres milieux, n’est que la perversion d’une certaine finesse d’interprétation