Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 8.djvu/141

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préférais encore la seconde à la troisième. Or, tandis que Mme de Guermantes était Guermantes presque sans le vouloir, son Pailleronisme, son goût pour Dumas fils étaient réfléchis et voulus. Comme ce goût était à l’opposé du mien, elle fournissait à mon esprit de la littérature quand elle me parlait du faubourg Saint-Germain, et ne me paraissait jamais si stupidement faubourg Saint-Germain que quand elle me parlait littérature.

Émue par les derniers vers, Mme d’Arpajon s’écria :

— Ces reliques du cœur ont aussi leur poussière ! Monsieur, il faudra que vous m’écriviez cela sur mon éventail, dit-elle à M. de Guermantes.

— Pauvre femme, elle me fait de la peine ! dit la princesse de Parme à Mme de Guermantes.

— Non, que madame ne s’attendrisse pas, elle n’a que ce qu’elle mérite.

— Mais… pardon de vous dire cela à vous… cependant elle l’aime vraiment !

— Mais pas du tout, elle en est incapable, elle croit qu’elle l’aime comme elle croit en ce moment qu’elle cite du Victor Hugo parce qu’elle dit un vers de Musset. Tenez, ajouta la duchesse sur un ton mélancolique, personne plus que moi ne serait touchée par un sentiment vrai. Mais je vais vous donner un exemple. Hier, elle a fait une scène terrible à Basin. Votre Altesse croit peut-être que c’était parce qu’il en aime d’autres, parce qu’il ne l’aime plus ; pas du tout, c’était parce qu’il ne veut pas présenter ses fils au Jockey ! Madame trouve-t-elle que ce soit d’une amoureuse ? Non ! Je vous dirai plus, ajouta Mme de Guermantes avec précision, c’est une personne d’une rare insensibilité.

Cependant c’est l’œil brillant de satisfaction que M. de Guermantes avait écouté sa femme parler de Victor Hugo à « brûle-pourpoint » et en citer ces quelques vers. La duchesse avait beau l’agacer souvent, dans des moments comme ceux-ci il était fier d’elle.