Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 2.djvu/232

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longue, placée de façon rectiligne, mais à l’intérieur incurvée comme un berceau, et où une jeune femme était étendue. La mollesse de sa pose, que l’entrée de la duchesse ne lui fit même pas déranger, contrastait avec l’éclat merveilleux de sa robe Empire en une soierie nacarat devant laquelle les plus rouges fuchsias eussent pâli et sur le tissu nacré de laquelle des insignes et des fleurs semblaient avoir été enfoncés longtemps, car leur trace y restait en creux. Pour saluer la duchesse elle inclina légèrement sa belle tête brune. Bien qu’il fît grand jour, comme elle avait demandé qu’on fermât les grands rideaux, en vue de plus de recueillement pour la musique, on avait, pour ne pas se tordre les pieds, allumé sur un trépied une urne où s’irisait une faible lueur. En réponse à ma demande, la duchesse de Guermantes me dit que c’était Mme de Sainte-Euverte. Alors je voulus savoir ce qu’elle était à la madame de Sainte-Euverte que j’avais connue. Mme de Guermantes me dit que c’était la femme d’un de ses petits-neveux, parut supporter l’idée qu’elle était née La Rochefoucauld, mais nia avoir elle-même connu des Sainte-Euverte. Je lui rappelai la soirée, que je n’avais sue, il est vrai, que par ouï-dire, où princesse des Laumes, elle avait retrouvé Swann. Mme de Guermantes m’affirma n’avoir jamais été à cette soirée. La duchesse avait toujours été un peu menteuse et l’était devenue davantage. Mme de Sainte-Euverte était pour elle un salon — d’ailleurs assez tombé avec le temps — qu’elle aimait à renier. Je n’insistai pas. « Non, qui vous avez pu entrevoir chez moi, parce qu’il avait de l’esprit, c’est le mari de celle dont vous parlez et avec qui je n’étais pas en relations. — Mais elle n’avait pas de mari. — Vous vous l’êtes figuré