Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/110

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ma vie pareille chose. Après qu’il eût mangé, il nous notifia qu’il allait se coucher.

On nous plaça tous trois dans une salle avec d’autres gens qui étaient là, parce que les chambres étaient occupées. Je me couchai avec assez de tristesse, et le militaire, ayant appelé l’hôte, le chargea de lui garder ses papiers avec la boîte de fer blanc où il les tenait et un paquet de mauvaises chemises. Nous nous couchâmes, l’ermite faisant un signe de croix, et nous le maudissant et priant Dieu de nous garantir de ses semblables. Il dormit, et moi je restai éveillé toute la nuit à méditer le moyen de lui reprendre mon argent. L’enseigne parlait, rêvant de ses cent réaux, comme s’ils n’eussent pas été perdus sans ressource.

L’heure de se lever arriva. L’ermite demanda aussitôt de la lumière et on en apporta. L’hôte parut aussi et remit au militaire son paquet ; mais il oublia les papiers. À l’instant le pauvre enseigne remplit de cris la maison en demandant les services. L’aubergiste se troubla et comme nous lui disions aussi, l’ermite et moi, de les donner, il courut, et apporta trois pots de chambre en disant : « En voici un pour chacun de vous. Vous en faut-il davantage ? » parce qu’il croyait que nous avions un flux de ventre. Le militaire, devenu alors plus furieux, se leva en chemise, l’épée à la main, et s’élança vers lui en criant qu’il allait le tuer pour le punir d’oser se moquer de lui, qui s’était trouvé à un combat naval à la bataille de Saint-Quentin et à d’autres, en lui apportant des