Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/111

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pots de chambre au lieu des papiers qu’il lui avait confiés. Quoique nous courussions tous après lui pour l’arrêter, nous eûmes bien de la peine. L’hôte disait pour excuse : « Jésus ! Monsieur demande des services, et je ne suis pas obligé de savoir qu’en langue soldatesque on appelle ainsi les papiers qui certifient les exploits. » Nous apaisâmes l’enseigne et nous retournâmes à la salle. L’ermite défiant resta au lit, sous prétexte que la peur qu’il avait eue lui avait fait mal. Il paya pour nous et nous reprîmes la route de Ségovie, bien fâchés de laisser là l’ermite sans avoir pu lui voler notre argent. Mais il doit reparaître un jour et ce n’est pas ici le tour le plus cruel qu’il m’ait joué.

Nous rencontrâmes un Gênois, j’entends un de ces antéchrists ennemis des monnaies d’Espagne, lequel passait le défilé entre les montagnes, suivi d’un page. Il avait un parasol et l’air d’un homme fort riche. Nous liâmes conversation, mais il ne faisait que parler maravédis, car les gens de son pays ne respirent que le gain et ne mettent leur industrie qu’à gratter les espèces, ou à tirer de l’argent un gros intérêt. Il commença de proférer le mot de Vitançon, et à dire s’il était avantageux ou non de donner de l’argent à Vitançon. Il répéta ce mot tant de fois que nous lui demandâmes, l’enseigne et moi, quel était cet homme. Il nous répondit en riant : « C’est un lieu d’Italie où se rassemblent les gens d’affaires que nous appelons filous de plume, pour déterminer la valeur que doit avoir la monnaie ; ce qui nous fait