Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/151

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que je savais où elle était et que je pouvais lui procurer l’entrée chez elle. Le désir s’empara aussitôt de son âme, ainsi que je l’avais prévu ; car je l’entretenais exprès des choses capables de flatter son goût. En causant ainsi, nous arrivâmes à la maison et nous entrâmes. Je fis toutes sortes de politesses à son beau-frère et à sa sœur. Eux de leur côté, ne pouvant pas s’imaginer autre chose, sinon que j’étais invité, puisque je venais à pareille heure, commencèrent à dire que s’ils avaient été prévenus qu’ils dussent avoir un si bon hôte, ils auraient préparé quelque chose. Je saisis l’occasion et, me tenant pour prié, je répliquai que j’étais de la maison et un ancien ami, et que me traiter avec des cérémonies serait m’offenser.

Ils s’assirent et moi aussi. Cependant, pour que le licencié le trouvât moins mauvais, car il ne m’avait pas invité et n’en avait pas même eu l’intention, je lui parlai de temps en temps de la jeune demoiselle, en lui disant qu’elle m’avait demandé de ses nouvelles, qu’elle l’avait toujours gravé dans le cœur, et d’autres menteries de cette espèce. Au moyen de cela, il fut moins fâché de ma hardiesse, quoique ensuite, quand le dîner parut, je dévorasse et fisse plus de ravages qu’une balle n’en ferait sur un plastron de buffle. On servit la viande du pot-au-feu et je l’avalai presque toute en deux bouchées, sans cependant aucune malice, mais avec tant de hâte qu’il semblait que je ne la crusse pas en sûreté même entre mes dents. Dieu sait qu’un cadavre n’est pas détruit