Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/152

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plus promptement dans le fameux cimetière de l’ancienne Valladolid, où il est consommé en vingt-quatre heures, que j’expédiai leur ordinaire, puisque jamais courrier extraordinaire ne l’a été si vite. Ils durent bien remarquer les fières gorgées de bouillon que j’avalais, de quelle manière j’égouttai la jarre, avec quel soin je nettoyai les os, et comment je faisais disparaître la viande. Pour dire encore la vérité, j’ajouterai qu’en affectant de jouer et de plaisanter, j’engouffrais des bribes de pain dans ma poche.

On se leva de table et nous nous retirâmes à l’écart, le licencié et moi, pour causer de la visite qu’il avait envie de faire à la demoiselle dont je lui avais parlé. Je lui persuadai que la chose était très facile. Mais dans le temps que nous nous entretenions ainsi à une fenêtre, je feignis qu’on m’appelait dans la rue et je dis tout à coup : « Est-ce moi que vous appelez, Monsieur ? Je descends dans le moment. » J’en demandai la permission, promettant de ne pas tarder à revenir. On m’attend encore, car je n’ai pas reparu depuis, tant à cause de la quantité de pain qu’il devait sembler que j’avais mangée, que pour avoir fait fausse-compagnie. Le licencié me rencontra plusieurs fois dans la suite, mais je m’excusai toujours auprès de lui, au moyen de mille mensonges que je lui alléguai et qu’il importe peu de rapporter ici.

M’en étant allé à ma bonne aventure, sans savoir où je dirigeais mes pas, j’arrivai à la porte de Guadalaxara, et je m’assis sur un de ces bancs que les marchands ont à l’entrée de leurs maisons. À peine