Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/155

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nuit close et nous nous retirâmes tous à la maison.

En rentrant, je trouvai le soldat aux haillons, ayant à la main un flambeau de cire qu’on lui avait donné pour aller à l’enterrement d’un défunt et avec lequel il était revenu. Cet homme s’appelait Mayazo, et il était d’Olias. Il avait été capitaine dans une comédie, et s’était battu, dans une danse, contre des Maures. Quand il parlait des Flamands, il disait avoir été à la Chine, et lorsqu’il était question des Chinois, il les mettait en Flandres. Quelquefois il voulait former un camp, quoiqu’il n’eut jamais su que s’épouiller en campagne. Il nommait des châteaux, et à peine en avait-il vu sur des doubles maravédis. Il célébrait fort la mémoire du seigneur Don Juan et je lui ai ouï dire mille fois de Luis Quijada qu’il avait été son grand ami. Il nous répétait des noms de Turcs, de galions et de capitaines qu’il avait lus dans des couplets qui avaient été faits à l’occasion de la glorieuse victoire remportée à Lepantos par Don Juan, et comme il n’avait nulle connaissance de la mer, n’ayant rien de naval que sa science de manger des navets, il disait en racontant cette bataille que Lépantos était un maure des plus braves ; parce que le pauvre imbécile ignorait que ce fût le nom de la mer. Ainsi, avec ses bêtises, il nous faisait passer d’agréables moments.

Un instant après entra mon compagnon. Il était très sale et tout couvert de sang, avec le nez cassé et la tête emmaillottée. Nous lui en demandâmes la cause et il nous dit qu’étant allé à la soupe de San