Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rien de saint ni même de bon, il dit qu’on le laissât sortir, qu’il payerait sur-le-champ et donnerait ses habits pour gages. On y consentit et au grand chagrin des autres, qu’il garantissait des coups, il se leva comme il pût, avec la tête cassée, et passa de mon côté.

Quoique les autres s’empressassent aussi de demander quartier, ils ne le firent pas si promptement qu’ils n’eussent auparavant sur leurs têtes plus de tuiles que de cheveux. Ils promirent leurs habits pour paiement de leur bienvenue, pensant qu’il valait mieux être au lit faute d’habit, que couverts de blessures. Ainsi on les laissa tranquilles cette nuit et le matin on les somma de leurs paroles. En conséquence, ils se dépouillèrent, mais il se trouva que de toutes leurs hardes ensemble, on ne pouvait pas faire de la mêche pour une lampe. Ils restèrent donc au lit enveloppés d’une de ces couvertures dont les gueux se servent pour s’épouiller. Ils ne tardèrent pas à sentir les hôtes de ce nouvel abri, parce que tel de ces grenadiers était tourmenté d’une faim canine, et tel autre mordant leur peau, rompait un jeûne de huit jours. Il y en avait aussi de très gros et plusieurs qu’on aurait pu jeter à l’oreille d’un taureau. Mes pauvres camarades manquèrent cette matinée-là d’en être dévorés. Ils jetèrent la couverture, maudissant leur sort et se déchirant le corps avec leurs ongles à force de se gratter. Je sortis du cachot, les priant de m’excuser et les assurant que si je ne leur faisais pas compagnie plus longtemps