Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/193

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J’allai aux étangs et nous vîmes tout. Dans le cours de la conversation, je reconnus que du temps d’Hérode ma future aurait couru beaucoup de risques lors du massacre des Innocents. Elle ne savait rien ; mais comme je ne veux point de femme pour conseillère ni pour bel esprit, que je n’en veux que pour coucher avec elles, et que si elles sont laides et savantes, autant vaudrait coucher avec Aristote ou Sénèque, je m’en inquiétai fort peu.

Nous arrivâmes au berceau et, en m’ouvrant un passage à travers la charmille, ma fraise s’accrocha à une branche, et il s’y fit une petite déchirure. La jeune demoiselle s’approcha de moi aussitôt, la raccommoda avec une aiguille d’argent, et la mère me dit que je n’avais qu’à l’envoyer chez elle le lendemain et que Dona Ana (c’est ainsi que se nommait la fille) la remettrait en état. Tout était prêt. Nous trouvâmes un grand goûter en viandes chaudes et froides, en fruits et en sucreries.

Lorsqu’on desservait, j’aperçus dans le jardin un cavalier précédé de deux domestiques qui venait à nous, et, dans le temps que je m’y attendais le moins, je reconnus mon ancien maître, Don Diégo Coronel. Il s’approcha de moi et ne cessait de me regarder, à cause de l’habillement sous lequel j’étais. Il parla aux femmes et les traita de cousines, ayant toujours pendant ce temps-là les yeux cloués sur moi. Je parlais au maître d’hôtel, et les deux chevaliers, qui étaient ses amis, faisaient la conversation avec lui. Il leur demanda, comme j’eus lieu d’en juger dans