Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/211

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jours ouvrables ; mais les jours de fête, je prenais un ton de voix différent et je disais : « Fidèles chrétiens et dévôts au Seigneur ! Au nom d’une aussi grande princesse que la reine des anges, mère de Dieu, faites la charité à ce pauvre perclus et affligé par la main du Seigneur. » Je faisais ici une petite pause, car cela est fort important, et puis j’ajoutais : « Dans une heure malheureuse, un air corrompu m’a raccourci les membres, lorsque je travaillais à la vigne ; car je me suis vu sain et bien portant comme vous êtes et que je souhaite que vous soyez. Loué soit Dieu ! » Au moyen de cela, les ochaves pleuvaient dans ma main et je gagnais beaucoup d’argent. J’en aurais même gagné bien davantage, si je n’avais été traversé par un autre pauvre fort accrédité et d’une vilaine figure, lequel étant sans bras et avec une jambe de moins, parcourait dans une brouette les mêmes rues que moi et recueillait de grandes aumônes, quoiqu’il demandât comme un homme de la lie du peuple. Il disait d’une voix rauque, en finissant par un ton aigu et perçant : « Souvenez-vous, serviteur de Jésus-Christ, du châtiment de Dieu pour mes péchés. Donnez au pauvre ce que vous recevez de Dieu. » Et il ajoutait : « Pour le bon Jésus ! » Comme il gagnait étonnamment et que je remarquai qu’il ôtait l’s au nom de Jésus, j’en dis de même et j’excitais par là la dévotion. Enfin je changeai de phrases, et je faisais une récolte merveilleuse, ayant mes deux jambes liées dans un sac de cuir et marchant avec mes deux béquilles.