Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/216

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que je leur fis naître l’envie de m’avoir parmi eux. Instruits de mes disgrâces et de mes besoins par mon ami, qui était avec eux et à qui je les avais raconté en partie, ils me proposèrent d’entrer dans leur troupe ; et moi, qui avais besoin d’appui et à qui la jeune femme plaisait, je m’arrangeai pour deux ans avec l’entrepreneur. Je lui fis mon engagement par écrit, moyennant ma nourriture et mes représentations.

Arrivé enfin à Tolède, on me donna à étudier trois ou quatre prologues et des rôles d’hommes valeureux, parce qu’ils convenaient au son de ma voix. Je les appris avec soin, et je déclamai sur la scène le premier prologue. Il était question, comme c’est l’ordinaire, d’un vaisseau battu de la tempête et sans provisions. On y disait : « C’est ici le port. » J’appelais sénat les spectateurs, je demandais pardon des fautes, et je priais de vouloir bien ne les pas relever. Quand je fus rentré, il se fit une grande acclamation, et à la fin je parus bien au théâtre.

Nous jouâmes une comédie de la composition d’un de nos camarades et je fus fort étonné de voir que des farceurs fussent poètes, parce que je m’imaginais que cela ne convenait qu’à des hommes très savants et très éclairés et non pas à des gens si fort ignorants. Cependant les choses en sont au point aujourd’hui qu’il n’y a point de directeur de troupe qui n’écrive une comédie, ni d’acteur qui ne fasse sa farce de Maures et de Chrétiens. Je me rappelle qu’auparavant nous n’avions que les comédies du bon Lope de