Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/218

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les voir, puis les volaient et se les appropriaient en y ajoutant quelque bêtise, et en retranchant des choses bien dites. Enfin il m’assura qu’il n’y avait jamais eu de farceur qui sût faire un couplet d’une autre manière.

La ruse ne me parut pas mauvaise, et j’avoue que je conçus dès lors le projet d’en faire usage, parce que je me sentais une disposition naturelle pour la poésie, qu’en outre j’avais déjà la connaissance de quelques poètes, et que j’avais lu Garcilaso de la Vega. Ainsi résolu de me livrer à cet art, je passais ma vie à faire des vers, des comédies et à représenter ; de sorte qu’au bout d’un mois que nous étions à Tolède, je m’étais acquis un renom en fabriquant de bonnes comédies et en évitant de tomber dans le défaut de mon camarade.

On en était venu à m’appeler Alonsète, parce que j’avais dit que je m’appelais Alonzo. On me surnommait aussi le Cruel, à cause d’une grimace terrible que j’avais faite et qui avait beaucoup plu à Messieurs du parterre et au bas peuple. J’avais déjà trois paires d’habits et les entrepreneurs de troupes de comédiens cherchaient à me débaucher. Je parlais en homme qui connaissait la comédie, je critiquais les comiques fameux, je blâmais la déclamation de Pinedo, j’approuvais la tranquillité naturelle de Sanchez, je traitais de passable Moralès. On me demandait mon avis sur la manière d’orner le théâtre et sur les décorations. Si quelqu’un venait lire une comédie, c’était moi qui l’entendais.