Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/231

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suffit pour que l’on sache qu’on doit vivre toujours dans la défiance, parce que les friponneries que je tais sont sans nombre.

Les coquins qui les pratiquent disent, et très proprement, donner la mort pour enlever l’argent. Ils traitent de tours d’adresse les supercheries qu’ils font à un ami qui ne s’en défie pas, tant elles sont cachées. Ils appellent adroits ceux qui leur amènent des hommes simples, des dupes, pour que ces coupeurs de bourses les dépouillent. À l’homme sans malice, qui est bon comme le bon pain, ils donnent le nom de blanc, et celui de noir à ceux qui rendent nulle toute leur industrie.

Muni de ce langage et de tous ces vices, je me rendis à Séville, ayant trouvé par là le moyen de m’approprier l’argent de mes camarades, d’en gagner aux maîtres des hôtelleries et de me défrayer en outre du louage de mes mules, de leur nourriture et de la mienne. Je descendis à l’auberge du Maure, où je rencontrai un de mes condisciples d’Alcala, appelé Mata, qui trouvant que ce nom était trop simple et ne remplissait pas assez la bouche, le changea en celui de Matorral. La vie des hommes faisait l’objet de son commerce ; il était marchand de coups d’épée, et cette profession lui convenait assez, car il avait tant de cicatrices sur la face, qu’elles pouvaient lui servir d’enseigne ; ce qui lui faisait dire qu’il n’y a point de meilleur maître d’escrime que celui qui est bien tailladé. Il avait en effet raison, parce que tout son corps n’était qu’un crible, et sa