Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/233

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yeux baissés, le regard dur, les moustaches luisantes et bien relevées en croc, et la barbe, ainsi que les cheveux, à la turque.

Ils nous saluèrent seulement en remuant les lèvres, après quoi, ils dirent d’une voix rauque à mon ami, en ménageant les paroles : « Sieur compère ? » Et celui-ci leur répondit d’un mouvement de tête. Ils s’assirent ensuite, et, pour demander qui j’étais, ils ne proférèrent pas une parole. Un d’eux regarda seulement Matorral et m’indiqua en ouvrant la bouche et avançant vers moi la lèvre d’en bas. Mon maître de noviciat le satisfit en empoignant sa barbe et en regardant la terre. À l’instant ils se levèrent tous d’un air très joyeux, m’embrassèrent et me firent mille caresses. J’y répondis à leur manière, mais ce fut pour moi la même chose que si j’eusse goûté de quatre vins différents.

L’heure de souper venue, de grands coquins, que les braves appellent des mouches, se présentèrent pour servir, et nous nous mîmes à table. On apporta d’abord un ragoût de mouton avec des câpres, et à l’instant ils commencèrent, en considération de ma bienvenue, par boire à mon honneur, dont je ne m’étais pas cru jusqu’alors si bien pourvu. On servit ensuite du poisson et d’autres mets, tous assaisonnés de manière à exciter à boire. Il y avait à terre une auge pleine de vin, sur laquelle chacun se précipitait pour faire raison ; et cette façon de boire me plut beaucoup. Aussi après que l’on eût pompé deux fois dans ce vase charmant, on ne se reconnut