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XXIV
AU LECTEUR

qui prenaient de l’opium par plaisir (on peut bien les nommer des amateurs), que la difficulté de distinguer ces personnes, auxquelles l’habitude avait rendu l’opium nécessaire, d’avec celles qui en achetaient en vue d’un suicide, leur occasionnait chaque jour des embarras et des discussions. Ce renseignement ne concernait que Londres. 2o Mais ceci paraîtra peut-être plus étonnant au lecteur. Il y a quelques années, en passant par Manchester, j’appris de plusieurs manufacturiers en coton que leurs ouvriers s’adonnaient de plus en plus à l’usage de l’opium, si bien que le samedi à partir de midi, les comptoirs des pharmaciens étaient chargés de pilules de un, deux ou trois grains, fabriques pour faire face aux demandes prévues pour la soirée. La cause prochaine de cet usage était le peu d’élévation des salaires d’alors, qui ne permettaient pas aux ouvriers de s’adonner à l’ale ou aux autres spiritueux. On pensera qu’une augmentation des salaires aurait mis fin à cet usage, mais je suis fort éloigné d’admettre qu’un homme, après avoir savouré les divines voluptés de l’opium, se dégrade par la suite jusqu’aux grossiers et mortels plaisirs de l’alcool. Ce qui me paraît bien établi c’est que :

Ceux-la en usent aujourd’hui, qui n’en avaient jamais usé auparavant.

Et ceux qui en avaient toujours usé auparavant, en usent aujourd’hui plus que jamais.

D’ailleurs le pouvoir fascinateur de l’opium est admis même par les écrivains médicaux, ses plus grands adversaires. Par exemple Arositer, pharmacien de l’hôpi-