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LA FILLE DU LIBAN

que pour les yeux des mourants. Et la fille du Liban dit à l’Évangéliste : « Ô père, quelles sont ces armées que je vois passer en revue dans ces espaces infinis ? » Et l’Évangéliste répondit : « Ce sont les armées du Christ, et elles paraissent pour recevoir certaine fleur humaine et chérie, certaines prémices de la foi chrétienne, qui cette nuit s’élèveront de Damas jusqu’au Christ. » Soudain, la fille du Liban vit sortir de l’armée céleste et sa pencher vers elle la seule figure dont elle avait faim et soif. La sœur jumelle qui l’aurait attendue dans le Liban était morte de douleur, et c’était au Paradis qu’elle l’attendait. Dans un transport subit, elle s’élança de sa couche, mais aussitôt elle retomba dans sa faiblesse ; retenue par l’Évangéliste, elle lui jeta ses bras autour du cou, pendant qu’il murmurait à son oreille ses dernières paroles : « Et maintenant, consens-tu à ce que Dieu t’accorde ce qu’il paraissait te refuser ? » — Oh ! oui, oui, oui, répondit avec ferveur la fille du Liban. Aussitôt l’Évangéliste donna le signal aux cieux, et les cieux donnèrent le signal au soleil, et une minute après, le corps de la fille du Liban devenait de marbre dans ses vêtements blancs du baptême ; l’orbe solaire descendit derrière le Liban, et l’Évangéliste, les yeux brillants de larmes mortelles et immortelles, rendit grâce à Dieu de ce qu’il avait accompli la parole qu’il avait eu la mission de dire à la Magdeleine du Liban, lui promettant que le trentième jour, avant que le soleil se couchât derrière ses collines natales, il l’aurait transportée dans la demeure de son père.