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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

pour l’œil des étrangers, tout est calme, quand on voit ce roi au seuil même de son avénement, à l’instant même où il ceint son front du cercle d’or du pouvoir suprême, — quand l’Europe l’épie avec attention, quand les rois de la terre le regardent avec envie, parce qu’il ne lui manque rien de ce qui fait le bonheur pour le vulgaire, ni la jeunesse, ni la santé, sur le trône le plus beau de cette terre, entouré de la popularité parmi un peuple d’hommes libres, et de l’espérance qui s’attache à des dons qui n’ont pas encore été mis à l’épreuve, — qu’au milieu de tout cela, et sous les auspices les plus flatteurs, il eût été appelé à faire le plus amer des sacrifices dont soit jamais capable un être humain ! Il le fit, et il aurait pu dire à son peuple : « C’est à vous, c’est à mes devoirs publics que j’ai fait un sacrifice qu’aucun de vous n’aurait fait pour moi. »

Il y a bien longtemps de cela, j’entendis une femme distinguée raconter dans quelles circonstances Lady Sarah reparut pour la première fois à la cour après le mariage du roi. Cela se fit à un lever, ou cela se fit pendant un bal, et si mes souvenirs sont exacts, après le mariage de cette dame avec Sir Charles Bunbury. Bien des regards s’attachèrent alors sur les intéressés, — bien des regards féminins surtout, et la dame qui me fit ce récit ne dissimula pas l’attention extrême qu’elle mit à les observer. La dame n’était point agitée, mais le roi l’était. Il paraissait anxieux, il tremblait visiblement, il changea de couleur, et enfin il frissonna quand Lady Sarah Lennox s’approcha de lui.

Mais pour citer le seul et unique exemple de sentiment éloquemment exprimé, dont j’aie gardé