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DU MANGEUR D’OPIUM

le souvenir trente ans après la lecture des Contes romanesques du Moine-Lewis : « En ce monde toute choses passent : que le Ciel en soit béni, et elles passent aussi les crises douloureuses au milieu desquelles il lui plaît de rappeler les exilés errants, nos passions elles-mêmes passent ! » Il arriva donc que cette rage se calma aussi, et qu’il fut oublié, comme le furent tant d’autres semblables, comme le seront tant d’autres, aussi longtemps que l’homme sera un homme, et la femme une femme. En somme, pour justifier une passion si profonde, on serait heureux d’avoir une haute opinion de la dame qui l’a inspirée ; par conséquent j’espère de tout mon cœur que les insultes prodiguées à sa mémoire dans les souvenirs scandaleux du duc de Lauzun sont de pures calomnies et qu’ils contiennent seulement la preuve de ses présomptueux désirs, plutôt que celle de prouesses réelles. Je sais que ce livre est généralement regardé comme l’œuvre d’un faussaire, mais les témoignages intérieurs, puisés dans le ton qui y règne et la valeur des révélations qu’on y trouve, ne me permettront pas de le croire. Il y a dans certaines parties un abandon et un laisser-aller qui en prouvent la sincérité. Je ne saurais mettre en doute son authenticité. Mais cela ne démontre nullement la vérité propre des histoires qu’il contient.

Bientôt après, nous quittâmes Eton pour nous rendre en Irlande. Notre première destination étant Dublin, nous prîmes naturellement la route d’Holyroad. À cette époque elle était sensiblement la même qu’aujourd’hui, à cela près qu’elle passait autour de Conway. À la station après Shrewsbury, elle entrait par le Nord dans la principauté