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DU MANGEUR D’OPIUM

ils avaient couché dans des trous creusés à quatre pieds au-dessous du niveau de la neige. Un autre officier déclara solennellement que pendant douze mois, il ne s’était jamais déshabillé qu’en ôtant sa tunique. Les simples soldats avaient toutes les qualités essentielles pour faire un service difficile et pénible, « l’intelligence, l’activité, la tempérance, et la patience à un degré surprenant, et avec cela la plus exacte discipline ». Telle est l’appréciation de leur ennemi, personnage vraiment sincère et juste. Cependant, dit l’Évêque, si l’on excepte les grenadiers, avec toutes ces qualités martiales, ils n’avaient rien qui attirât l’œil. La plupart étaient de petite taille, leur teint était pâle et jaune, leurs habits presque entièrement usés ; un observateur superficiel les eût crus incapables de résister à aucune privation. Et cependant on remarqua que ces hommes-là s’accommodaient parfaitement de ne manger que du pain et des pommes de terre, de boire de l’eau, de coucher sur les pavés de la rue, et de dormir tout habillés sans autre abri que la voûte du ciel. »

On s’imaginera aisément quelle fut la terreur des familles de Killala à la nouvelle que les Français avaient débarqué, et qu’elles allaient être immédiatement forcées de recevoir une armée républicaine. Les sans-culottes, du nombre desquels étaient ces gens-là, s’étaient fait dans toute l’Europe une réputation de maraudeurs systématiques et féroces ; en somme on ne voyait guère en eux que de sanguinaires brigands. Il faut reconnaître de bonne foi que leur conduite à Killala démentit ces bruits, mais d’autre part, leur intérêt les obligeait évidemment à garder une attitude plus pacifique dans un pays où ils arrivaient en