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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

Quel tableau dut s’offrir à Enniscorthy le 27 mai. Des fuyards venus de Ferns s’y entassaient, annonçant l’approche rapide des rebelles qui, maintenant comptaient plus de sept mille hommes, enthousiasmés par la victoire et affolés de fureur vengeresse. Peu après midi, leur avant-garde bien supérieure à un millier d’hommes, et bien pourvue de fusils (pillés sans doute dans les arsenaux royaux qu’on avait abandonnés) commença une attaque désordonnée. La garnison de la place ne montait pas à 300 miliciens et yeomen, et il n’y existait aucune défense, si ce n’est l’abri naturel que formait la rivière de Slaney. Encore pouvait-on la passer à gué, et cela, les assaillants le savaient. Le carnage parmi les rebelles fut terrible, à cause du peu de précautions qu’ils prenaient, et de leur ignorance absolue des choses de la guerre. En dépit de leur supériorité numérique, il est probable qu’ils eussent été défaits. Mais à Enniscorthy, (comme partout ailleurs) la trahison du dedans se hasarda à se montrer au moment même où la balance était en suspens. Des incendiaires se mirent à l’ouvrage, les flammes jaillirent en même temps de plusieurs maisons. La retraite même parut incertaine, car elle dépendait entièrement de l’état du vent. Chacun des royalistes avait à sa droite un traître ; il y avait des traîtres à son foyer, devant lui il avait l’ennemi ; derrière lui, une ligne de maisons en feu. La bataille avait fait rage pendant trois heures. Il était alors quatre heures du soir. À ce moment la garnison recula vivement et s’enfuit à Wexford.

Alors se produisit une scène qui, dans la variété de ses horreurs, n’eût guère d’analogues, excepté en septembre 1812, quand l’armée française se