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DU MANGEUR D’OPIUM

res inconnues qu’éclairaient les lanternes de la voiture, « Ah ! monsieur, il court de bien vilaines histoires, je ne puis pas dire le contraire, et certaines fois, reprit-il, avec un clignement d’yeux malin auquel répondit un hochement de tête connaisseur, il ne fait pas toujours bon de dire ce qu’on sait. Mais vous m’entendez bien, monsieur, la forêt, après tout, c’est la forêt, comme vous savez. Du temps de mon père, il ne fallait pas trop s’y fier, et je suppose que de mon temps, il ne faut pas s’y fier davantage. Vous feriez bien d’avoir l’œil. Ah ! Tom, continua-t-il, s’adressant au postillon, rappelez-vous, quand vous passerez la troisième porte, de franchir le petit bois à toute vitesse. » Tom répondit à cette invitation professionnelle en prenant un air important. On se dit adieu de tous côtés ; l’hôtelier s’inclina et nous nous mimes en route pour la forêt.

Méphistophélès avait sa boîte de pistolets de voyage : il se mit à les inspecter « car, dit-il, je connais le tour qui consiste à on enlever la charge pendant que vous buvez un verre de vin. » Le vin lui avait ouvert le cœur. La perspective de la forêt et de la nuit qui s’approchait, lui donnait de l’excitation, et il était tout disposé à me prendre pour confident, si enfant que je fusse. « Avez-vous remarqué, me dit-il, cet individu à mauvaise mine, aussi gros qu’un chameau, qui se tenait debout à gauche de l’aubergiste ? — Voulez-vous parler, demandai-je timidement, de cet homme qui avait l’air d’un fermier, d’après son costume ? — Fermier ! dites-vous ! Ah ! mon jeune ami, comme on voit bien que vous connaissez peu le monde ! C’est un bandit, le plus féroce des bandits. Et je compte bien lui en donner là preuve avant que quelques