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DU MANGEUR D'OPIUM

lutter contre l’infortune, bien des chose que l’on trouve rarement parmi les qualités naturelles d’un adolescent. J’ai aussi des motifs de penser que l’état humiliant dans lequel il croyait avoir passé ses années d’enfance, dans cette situation de favori public dont j’ai parlé, l’énergique aversion avec laquelle il réagissait contre elle comme contre une insulte, entrèrent plus profondément en lui qu’on ne le supposait, et exercèrent une grande influence sur sa conduite future, en lui donnant une force nerveuse pour exécuter les énergiques projets qu’il forma. On eût dit qu’il protestait contre un premier affront que lui avait fait la Nature, en lui assignant une beauté féminine pour marque trompeuse de son caractère, et qu’il prenait plaisir à lui donner un démenti. Je suis convaincu que si la chose eût été on son pouvoir, il se serait enlaidi. Ce qui est certain, c’est que quand il atteignit sa onzième année, il avait déjà commencé à s’éloigner de la société des autres jeunes garçons, — qu’il tombait dans de fréquents accès de rêverie, et qu’il en venait à ne plus compter que sur lui-même, à un point qui n’était ni ordinaire, ni nécessaire. Il évitait les camarades d’école du même âge, de la même position sociale que lui, ceux même qui étaient les plus affectueux, et bien des années après sa disparition, je trouvai une collection de papiers de son écriture, où étaient exprimés, en vers d’un lyrisme ardent, des sentiments qui trahissaient, à n’en pouvoir douter, un esprit fier, qui ne compte que sur lui, qui d’une manière consciente, concentre en lui seul toutes ses espérances, qui renonce à tout dans le monde, manifestations des plus extraordinaires chez un adolescent de son âge, car