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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

assaillirent un être si jeune, si inexpérimenté, si sensible et si fier, pendant ce long exil, dangers pour sa vie (mais ceux-là, qui étaient l’essence même de sa malheureuse situation, n’étaient pas les plus déplorables), dangers pour sa bonne réputation, et qui allaient jusqu’à le menacer d’une infamie absolue, car si le vaisseau pirate avait été capturé par un navire anglais, il lui eût été peut-être impossible de prouver qu’il n’avait pas été le complice volontaire des crimes sanguinaires de ses compagnons de navigation. D’autre part s’il s’était produit un fait également probable dans les régions qu’ils fréquentaient, c’est-à-dire que le vaincu eût été pris par un garce-côte espagnol, il eût eu grand’peine, à cause de son ignorance de la langue espagnole, à attirer l’attention, même pendant quelques instants sur ce que sa situation avait de particulier ; il aurait été exécuté sommairement, sur le témoignage des premières apparences, d’après lesquelles on ne pouvait le regarder comme un prisonnier ; et si alors son nom était parvenu dans son pays, il y serait parvenu sur la même liste qu’une bande de ruffians, d’assassins, de gens traîtres à leur patrie, et de plus comme si ces épithètes ne suffisaient pas, celle de pirates y eût été jointe pour aggraver l’infamie, car elle les contenait toutes et en disait pis encore. C’étaient certainement là des périls des plus graves, mais à la fin, il en survint d’autres d’une nature encore plus terrible, les périls d’une contamination morale, à la vue des excès auxquels il fallait s’attendre en pareille compagnie. On doit bien penser qu’ils ne se bornaient pas à quelques idées sauvages, à quelques principes de mépris qui auraient formé con credo de morale