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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

vue d’édifier les marins dans ces mers à demi-chrétiennes ? Quoi qu’il en fût, voici ce qui se passait : la chose était attestée par des générations d’errants de la mer (car la plupart des gens qui circulent en armes dans le Sahara Océanien appartenaient en ce temps-là à cet ordre suspect). Dès le coucher du soleil, dès le début du crépuscule, s’élevait un bruit qui pouvait s’entendre dans toutes les autres îles, et sur les vaisseaux qui étaient tranquillement à l’ancre dans le voisinage ; ce bruit était celui de la hache d’un bûcheron. Les coups étaient violents, et ils se succédaient avec rapidité. Certains s’imaginaient entendre cette sorte de grognement qui accompagne la respiration pendant le maniement de la hache, ou le geste de deux qui, dans les villes manœuvrent la demoiselle de Falstaff, comme les paveurs. Ils entendaient, à n’en pas douter, les échos de chaque son, renvoyé par la profondeur des bois et par les escarpements champêtres qui formaient les bords de la côte. Cela néanmoins eût suffi pour leur prouver qu’il ne se passait rien de surnaturel, puisqu’un objet visible perd son ombre dès qu’il passe dans le domaine des choses hyperphysiques ou cataphysiques, ce qui obligeait à conclure par voie d’analogie, que dans les mêmes circonstances, un bruit qui frappe l’oreille doit perdre son écho. Mais telle était l’histoire, et les marins racontent une légende vraiment maritime avec une uniformité de détails comparable à celle d’un livre de loch ; la reproduction littérale, pour un marin, est à la fois un devoir de respect religieux et d’honneur mondain. L’histoire finissait ainsi : après dix à douze minutes de ses coups de hache et de ce travail d’abattage, on entendait